Entrez votre recherche ci-dessous :

Festival du film : « Le cinéma ne doit pas faire preuve de misérabilisme » (Louis-Julien Petit)

Les 6 et 7 décembre au cinéma Le Méliès de Montreuil, le Festival de cinéma « La pauvreté sans clichés » récompense un film qui a su rompre avec les clichés sur les pauvres et la pauvreté. Le parrain de cette quatrième édition est le réalisateur Louis-Julien Petit, qui recevra un prix spécial pour son film Les invisibles. En lien avec ATD Quart Monde depuis juin dernier, il décrit la manière dont il aborde la précarité dans ses films et espère que le cinéma permette au public de « relever le regard » sur les personnes en situation de pauvreté.

Pourquoi avez-vous accepté d’être le parrain de cette édition du Festival de cinéma « La pauvreté sans cliché » créé par ATD Quart Monde ?

Je suis venu à une Université populaire Quart Monde à Montreuil en juin dernier, avec Adolpha Van Meerhaeghe et Marianne Garcia, qui jouent dans Les invisibles et j’ai adoré l’échange qu’il y a eu à ce moment-là. Cela me paraissait donc normal de participer à ce festival, quand on voit toute l’humanité qui se dégage du Mouvement ATD Quart Monde. C’est un endroit où je me sens bien et les actrices aussi, car elles seront également présentes le 6 décembre. Nous avions envie de continuer l’aventure avec ATD Quart Monde, à travers le cinéma. Si je peux donner ma voix une soirée pour dire que je soutiens ce Mouvement et qu’en plus je le fais entouré des actrices des Invisibles, je suis heureux!

Que vous inspire le titre du festival, « la pauvreté sans clichés » ?

Cela devrait être normal dans le cinéma de ne pas faire preuve de misérabilisme sur la pauvreté. En tant que cinéaste, je mets un point d’honneur à lutter contre ces clichés. C’est ce que j’ai voulu faire dans Les invisibles, notamment, montrer que ce n’est pas parce qu’on est dans la  grande précarité qu’on a perdu son sens de l’humour, son humanité, son amour de soi et des autres.

Vous pensez que le cinéma donne une image misérabiliste de la précarité ?

Je ne peux pas juger tout le cinéma en général. Il y a deux moyens d’interpeller sur la précarité, soit en étant radical, en faisant presque un documentaire choc, soit en étant fictionnel et en proposant des solutions. J’ai envie que mes personnages essayent de trouver des solutions. Cela ne veut pas dire qu’ils vont forcément y arriver, mais ils vont essayer. J’ai du mal avec les personnages qui sont dans la précarité et se laissent faire.

Je m’interroge, en tant que cinéaste, sur la manière de rassembler sur ce sujet. Je ne veux pas susciter la colère du public face à une situation jugée désespérée, être frontal, radical. J’ai envie de trouver des solutions cinématographiques accessibles, qui peuvent interroger des personnes qui ne seraient pas forcément mobilisées sur cette thématique là.

Pour moi, toutes les personnes dans la précarité que j’ai rencontrées sont des combattantes. Il y a des moments où c’est plus dur que d’autres, mais ce sont souvent des gens qui se battent au quotidien. J’ai essayé de leur rendre hommage dans mes films. Je veux montrer des personnages qui luttent, qui n’arrêtent pas de croire qu’un avenir meilleur est possible. C’est le combat qui fait l’espoir et nous avons besoin de cet espoir pour la génération à venir.

Pourquoi avez-vous choisi de montrer cette thématique de la précarité dans vos films ?

Pour moi, c’est là qu’on voit ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité. Je n’ai jamais vu autant d’authenticité, de sincérité et de générosité que chez les personnes qui ont connu la grande précarité et des conditions de vie assez dures. J’ai été plus que touché par les échanges, les solutions qu’on essaye de chercher quand on est pressurisé par un système. C’est donc pour cela que je pose ma caméra là, je veux observer des relations humaines qui me touchent et me donnent de l’espoir.

Dans cette société, on a une responsabilité, en tant que cinéaste, on doit trouver des solutions. Je ne sais faire que cela, du cinéma, donc ma caméra est comme arme pour essayer de susciter le débat, pour renvoyer à la société civile ce qui m’a inspiré. Aujourd’hui, les films qui traitent de sujets de société peuvent avoir énormément d’écho dans la société.

Pensez-vous qu’un film puisse changer le regard de certains spectateurs sur la pauvreté ?

J’ai fait Les invisibles justement pour relever le regard. En tant que citoyen, quand je passais devant une personne à la rue, je baissais le regard, parce que je ne savais pas forcément comment faire pour aider la personne. On est extrêmement sollicité et on n’a pas forcément les solutions, donc cela nous effraie. J’ai voulu me servir de la salle de cinéma pour recréer un lien entre les personnes à la rue, ces « invisibles », et les personnes qui n’arrivent pas à voir cette problématique, pour les aider à relever le regard, en me servant de la comédie.

Si, en sortant du film, on s’est créé une intimité pendant 1h42 avec ces femmes, c’est gagné. Si on voit dans la rue une personne en grande précarité, on peut se dire qu’elle a peut-être quelque chose de Chantal ou de Lady Di en elle et on peut se sentir plus proche. C’est important de ne pas rester indifférent.

Le jury du Festival « La pauvreté sans clichés » est composé notamment de personnes vivant dans la précarité. Beaucoup d’entre elles ne peuvent pas aller au cinéma, pensez-vous possible de rendre le cinéma plus accessible ?

Après Les Invisibles, j’ai monté au printemps dernier, avec le distributeur Apollo films, le label « Invisibles » pour recréer du lien entre le cinéma et les personnes vivant dans la précarité. À la manière du café suspendu, vous pouvez arriver dans un cinéma, payer votre entrée et donner quelques centimes supplémentaires qui vont dans une caisse communautaire. À chaque fin de mois, l’exploitant de la salle libère des tickets de cinéma qu’il donne à des associations travaillant avec des « invisibles » en général, cela peut être des mères célibataires, des jeunes… L’idée est de ne pas imposer un film ni une séance aux personnes qui vont bénéficier de ces tickets solidaires. Aujourd’hui, plus de 280 cinémas sont partenaires.

Quand on va voir un film, on en parle, on recrée du lien social, on a un avis, cela peut donner confiance en soi… Le premier sacrifice qu’on fait quand on est dans la précarité, c’est la culture. Je souhaite recréer ce lien là. Le cinéma devrait être accessible à tous, il ne doit pas y avoir de filtre à l’entrée. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet

Retrouvez le programme du festival « La pauvreté sans clichés ».

Photo : Louis-Julien Petit. © Naïs Bessaih